Aujourd’hui, Raymond a eu 100 ans

On a rarement vu centenaire plus élégant. Pour l’occasion, Raymond s’est mis sur son 31. La veste de costume assortie à la cravate, nouée autour d’un col blanc. La chevelure bien peignée vers l’arrière. Impeccable. Cette façon d’être tiré à quatre épingles est héritée de son père. « J’ai reçu une formation militaire et mon père était stricte. Un jour, j’ai réalisé un travail parfaitement. Il m’a dit – C’est pas mal. J’ai protesté – tu ne me félicites pas ? – Non, a-t-il répondu, sinon tu ne feras pas encore mieux la prochaine fois. »

De Fourmies à Braine

Raymond a donc appris la rigueur et la précision auprès d’un père horloger, au beau milieu de la forêt noire. Les Hemmer, Lorrains, sont passés côté allemand après la défaite contre la Prusse, en 1870, avant de redevenir Français, plus tard. Une double culture qui a valu au père de Raymond d’être embauché par la commune de Braine, dans l’Aisne, comme traducteur auprès de la Kommandantur. Les années sombres. A cette époque, Raymond avait 16 ans. Il quitta Fourmies, où il vivait avec sa famille, pour fuir les soldats allemands, au-delà de la ligne de démarcation. Il garde de cette époque le souvenir douloureux des restrictions en tout genre. Dès lors, jamais il ne cédera au gaspillage et gardera la culture de la récupération.

La lumière

Passées les années de guerre, Raymond est jeune électricien pour EDF. Il contribue à électrifier les campagnes. La lumière apparaît aussi dans son cœur : il rencontre Marie-Henriette et la demande en mariage en 1946. L’institutrice est nommée directrice d’école dans l’Avesnois, où Raymond devient adjoint au maire d’une commune, puis à Anzin. Les parents et bientôt leurs trois enfants s’installent donc dans la cité minière. La vie de Raymond est faite de rencontres et de partages. Le père de famille se souvient bien de celle avec le général de Gaulle… Il aura aussi la bougeotte, affectionnant les voyages, l’appareil photo autour du cou. Engagé dans la vie locale, Raymond sera tantôt président d’un comité des fêtes, tantôt arbitre de foot.

Chez lui

Ce vendredi 9 février, Raymond Hemmer a eu 100 ans. Assis sur un voltaire en velours vert bouteille, au milieu d’une maison qu’il a acheté au moment de sa retraite, rue Stendhal, à Saint-Saulve, il a savouré le moment. Entre ces murs chargés de souvenirs familiaux, rien n’a bougé, ou presque. La tapisserie à fleurs, les meubles rustiques, l’horloge comtoise… Chaque matin, Raymond prend son petit carnet, jette un coup d’œil au thermomètre, à la météo. Une sorte de carnet de bord, griffonné avec une précision millimétrée. Celle des horlogers. Sa façon à lui de travailler son écriture, sa mémoire, sa dextérité. Outre la réception de quelques repas par semaine et une aide-ménagère, Raymond vit en autonomie. Incroyable, à son âge. Son petit secret ? La tendresse, sans doute.

Jacqueline

Devenu veuf il y a une vingtaine d’années, Raymond a rencontré Jacqueline, il y a 12 ans. Une « petite jeune » de 11 ans de moins que lui. La rencontre a eu lieu aux Pâquerettes, l’association qui réunit les seniors à la Pépinière. Raymond et Jacqueline se sont trouvés autour de la danse, qu’ils affectionnent beaucoup. « On dansait ensemble, puis il me gardait une place à côté de lui ; puis il m’a invité à boire le café… » Raymond avait alors 88 ans. Quand on dit qu’il n’y a pas d’âges… Les tourtereaux se soutiennent, s’encouragent, se renforcent. Pourquoi Jacqueline ? « Un ressenti… »

Volant d’or

Si Raymond ne danse plus que les slows, rien ne trahit son grand âge. Alerte, il fait partie des chanceux qui ne font pas leur âge. Il a revendu sa voiture, à contre cœur, en décembre dernier. « L’année dernière, il parcourrait encore 150 km pour venir nous voir », raconte son fils Philippe. « J’ai été élu volant d’or par l’automobile club », glisse Raymond. 70 ans de conduite sans accidents, ça vaut au moins cela ! Une forme presque olympique, entretenue par une hygiène de vie irréprochable. Pas d’alcool – excepté pour les grands évènements – et pas de cigarettes. « Quand j’étais petit, on disait que je n’étais pas bien épais… » Pas épais, mais le cuir dur.  

Raymond entouré pae ses proches : Jacqueline, sa compagne ; et de gauche à droite : sa belle-fille Renée, son fils Philippe, sa fille Colette et sa fille Geneviève.