Témoignage. Le regard anxieux tourné vers l’horizon, depuis une petite fenêtre de chambre donnant vers la mer, là-bas, à quelques kilomètres seulement… De la fenêtre, on pouvait deviner le ciel marin, apercevoir les embruns, sentir le parfum iodé. Mais ce soir de juin 1944, c’est un chaos qui s’échappait du bord de mer, là-bas, à quelques kilomètres seulement… « Ce sont des choses que l’on n’oublie pas ».
Marie avait 10 ans lorsque les Américains ont débarqué dans sa campagne normande. 80 ans plus tard, sa mémoire demeure intacte. « On pressentait que quelque chose allait se passer… Papa était dans le secret de la Résistance. Mais le 4 juin, lorsqu’il a entendu – les sanglots longs des violons de l’automne …, sur radio Londres, il a lancé – ça arrive ! et nous nous sommes réfugiés, à l’abri, dans une pièce de la maison, à l’étage. Le lendemain, la suite du poème de Verlaine est passée à la radio. C’était parti. »
Le miracle de Bayeux
Depuis la petite fenêtre de cette chambre où la famille se serre, la petite Marie aperçoit les éclairs dans le ciel assombri. L’orage des bombes tonne. On les entend qui résonnent, depuis cette maison familiale située à l’entrée de Bayeux. Bien-sûr, Marie et sa sœur ont peur. Mais une croyance profonde les rassure néanmoins : selon une prédiction qui a fait le tour de la ville, Bayeux va échapper aux bombardements. Bayeux sera épargnée. Nuit blanche. Que se passe-t-il, là-bas, à quelques kilomètres seulement… ?
Les yeux sont rivés vers la mer. Et puis, le calme après la tempête. Le 6 juin 1944, les habitants de Bayeux sortent de chez eux à pas prudents… Tout est étrangement calme dans la rue. Les soldats allemands ont déserté la ville. Bientôt, ce sont des soldats anglais qui apparaissent, distribuant chewing-gum et chocolat à une population ébahie. Marie aperçoit un soldat français et court vers lui. C’est le général Leclerc. Surréaliste.
Le courage
La guerre n’est pas terminée pour autant. Le front va se déporter vers Caen, où une terrible bataille démolit la ville, tue et blesse des milliers de civils. Une fois encore, les parents de Marie sont à la hauteur de l’évènement, portés par un élan de solidarité qui leur est tout naturel. Ils hébergent des amis dont la maison a été dévastée. Deux ans auparavant, ils avaient caché des jeunes refusant le travail obligatoire en Allemagne, à l’étage juste au-dessus duquel séjournait un soldat allemand, qu’ils avaient été contraints de loger. Marie ressent un immense sentiment de fierté pour ses parents courageux.
Un sentiment exacerbé par les actes de bravoure de son père qui, en tant que vétérinaire rural, a pu délivrer de nombreux laissez-passer. Il sera décoré pour son implication au sein de la Résistance. Le 6 juin 1944, spontanément, ce dernier a grimpé l’escalier de la tour de la cathédrale de Bayeux, pour y planter un drapeau français. Joie ! Cela non plus, ça ne s’oublie pas. Il écrivit aussi ses mémoires de guerre, à travers le regard d’un cheval mené au combat. « Il dût en abattre certains, pendant la guerre, pour ne pas qu’ils souffrent de leurs blessures. »
Une évidence
Conformément à la prédiction, Bayeux fut épargnée par les bombardements. Le maire tint alors sa promesse de faire ériger une statue de la Vierge – elle est située près de l’hôpital et du musée de la tapisserie – et d’organiser une procession chaque année au 15 août. Procession qui existe toujours aujourd’hui.
Après la guerre, Marie et sa famille déménagèrent à Paris, où la jeune fille et sa sœur intégrèrent un lycée. « A 15 ans, j’ai lu un livre sur Thérèse de Lisieux. J’ai ressenti, à ce moment-là, comme une évidence. » Les parents de la jeune fille ont souhaité qu’elle poursuive ses études, dans un premier temps. Marie a obtenu son bac puis sa licence de sciences naturelles à la Sorbonne. « J’ai raté ma première année de Capes. J’étais joyeuse car enfin libre ! Libre de suivre ma voie/voix… »
Marie a prononcé ses vœux en 1957 et est devenue sœur Marie-Yvonne. Elle est arrivée à Saint-Saulve en 2015, dans le quartier de la Pépinière. Depuis 2021, elle vit dans la communauté Notre Dame de la Garde, située juste à côté de l’école Notre-Dame. A 90 ans, sœur Marie-Yvonne demeure un témoin précieux du passé. Une petite fille qui, depuis sa fenêtre et au cœur même de son foyer, a vécu la grande Histoire. Une petite fille qui, depuis, n’a jamais cessé de raconter. Car il est des choses qui se transmettent ; il est des choses qui ne doivent jamais être oubliées.